Retour sur le séminaire « Intelligence artificielle de quoi parle-t-on ? Quels enjeux pour les milieux de travail »
L'intégration de l'IA dans les entreprises bouleverse profondément le monde du travail. Au-delà de la question des emplois, elle soulève des interrogations sur le contenu des tâches, les conditions de travail et les relations sociales. Un cycle de séminaires organisé d'octobre 2024 à février 2025 par l'Anact avec l'appui de l'Organisation Internationale du Travail propose l'éclairage de différents experts français et internationaux.
Actualité - Publié le 27 novembre 2024 - Modifié le 27 novembre 2024
L’introduction, le déploiement et l’usage de systèmes d’intelligence artificielle dans les entreprises et les administrations soulèvent des questions complexes et centrales pour les organisations et les activités de travail. Les interrogations sont fortes en termes de quantité d’emploi notamment. Mais des problématiques relatives à l’activité, à l’organisation et aux conditions de travail émergent également. Il s’agit de questionnements relatifs :
- au contenu et à la qualité du travail, à la composition des milieux de travail ou aux processus de décision et de production ;
- à des dimensions techniques et organisationnelles : les équipements, la formation,
- l’exposition aux risques mais aussi l’innovation, l’accompagnement des transformations, l’autonomie et le sens au travail ; aux relations sociales : les responsabilités, la cohésion des collectifs de travail, etc.
Parce que le déploiement et l’usage de l’IA remettent sur le métier le sujet de la performance au travail, ils appellent de la part de tous les acteurs du monde du travail dialogue, orientations et actions stratégiques. Relier les modèles d’affaires et les équilibres économiques aux réflexions sur les régimes de travail, les compétences professionnelles et les conditions de travail devient dans ce cadre un enjeu majeur.
Introduction du webinaire - Vincent Mandinaud (Anact) et Cyril Cosme (OIT)
Uma Rani - OIT
L’intervention d’Uma Rani propose d’examiner deux tendances de l’IA au travail :
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Le développement de l'IA et les travailleurs invisibles qui alimentent les outils et produits de l'IA dans les chaînes d'approvisionnement de l'IA.
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Les pratiques de gestion algorithmique utilisant soit des outils d'IA, soit des processus de prise de décision automatisés sur les lieux de travail ordinaires, ce qui comporte des risques pour les travailleurs.
Pauline Gourlet - Médialab Sciences-po Paris
L’intervention de Pauline Gourlet, appuyée sur diverses études de terrain, propose plusieurs opérations pour refaçonner l’IA au travail. D’abord de suspendre les grands récits autour de l’IA, en traçant leur histoire longue, en déconstruisant les effets de cadrage et en interrogeant leur performativité. Puis de dé-chosifier et l’IA et la pluraliser en questionnant son unicité, en regardant ce qu’éclipse les modèles et en réinscrivant le développement des technologies dans des situations et des pratiques. Enfin, elle propose de faire atterrir les modèles en faisant dégonfler des situations fantasmées, en documentant des développements situés à travers des enquêtes collectives sur les activités de travail.
Moustafa Zouinar - Cnam
L’intervention de Moustafa Zouinar propose d’abord d’expliquer en quoi consiste le problème de l’opacité et de l’explicabilité de l’IA, puis de rapporter ces enjeux aux contextes de travail, pour ensuite présenter une approche de l’explicabilité à partir de l’expérience-utilisateur, pour enfin conclure sur une tension entre des modèles d’IA très performants mais assez peu explicables, et des modèles d’IA un peu moins performants mais beaucoup plus explicables.
Clément Le Ludec - Université Paris Panthéon-Assas
L’intervention de Clément Leludec, appuyée sur une enquête entre la France et Madagascar, propose d’abord d’éclairer le rôle des travailleurs invisibles de l’IA pour annoter, géométriser, classer, mettre à jour, vérifier des données et de mettre en visibilité le continuum automation-travail humain qui permet à l’IA de fonctionner. Ensuite, elle propose de réfléchir à la localisation géographique de la chaine de production de l’IA pour rendre compte d’une institutionnalisation de l’externalisation du travail de la donnée et d’interroger les conditions de vie et de travail des annotateurs de données. Cette excursion conduit à pointer la nécessité d’identifier les limites des systèmes d’IA pour comprendre ce qu’ils font (et ne font pas), en comprenant le travail de ceux et celles qui, à l’autre bout du monde, font marcher les systèmes d’IA.