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Projet DiAL-IA : outiller les acteurs du dialogue social sur les impacts de l’intelligence artificielle

L’arrivée de l’intelligence artificielle dans le travail soulève de nouveaux enjeux. Entretien avec Odile Chagny, coordinatrice du projet DIAL-IA à l’Ires.

Actualité - Publié le 14 mai 2025 - Modifié le 15 mai 2025

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Projet dial-ia

Pouvez-vous nous présenter le projet DIAL-IA ?

Le projet Dial-IA (Dialoguer sur l’intelligence artificielle) est une initiative de l’Institut de recherches économiques et sociales pour les organisations syndicales en France, l’IRES.

Une forte dynamique d'intelligence collective s'est installée. Comment l'Ires a-t-il engagé cette démarche ?

La démarche a en effet réunit 50 personnes d'organisations syndicales et patronales.

Depuis dix ans, l’Ires est engagé avec d’autres partenaires, en particulier Ultralaborans, mais aussi l’Anact, dans des démarches d’exploration des transformations numériques dans le travail avec la conviction que si l’on veut bifurquer, il faut le faire aussi dans la méthode. Il est important de permettre l’apprentissage collectif, car c’est par là que nous pouvons prendre la mesure des transformations et ouvrir le dialogue sur ces transformations.

Selon cette logique, nous avons commencé à nous intéresser à l’intelligence artificielle, ce qui nous a menés dès 2019 vers le projet européen Secoia Deal piloté par la CFE-CGC dans lequel nous avons réfléchi à aux impacts de l'IA sur la création de valeur, le management, le dialogue. Nous avons repéré que cela demandait des modalités renouvelées de dialogue et avons créé une « communauté agissante » internationale. Mais il y avait matière à recentrer la réflexion au contexte français, en élargissant le projet à davantage d’organisations syndicales. À ce moment-là, l’AMI de l’Anact a permis de donner chair au projet.

L’idée était d’outiller les acteurs du dialogue social en créant un référentiel méthodologique qui décline l'accord-cadre sur la transformation numérique des entreprises en envisageant l’impact organisationnel de l’IA à partir de questions sur le contenu du travail, la QVCT et la santé, et en portant une démarche de co-construction itérative.

Comment avez-vous avancé dans ce projet de création d’outils à destination des acteurs du dialogue social ?

La démarche était volontariste. Quatre organisations syndicales ont accepté de piloter le projet : la CFE-CGC, la CFDT, FO Cadres, l’UGICT CGT. Pour prendre la mesure des enjeux, et se mettre en capacité d’agir, nous avons associé les parties prenantes dans une démarche d’apprentissage collectif qui a laissé la possibilité d’expérimenter les formes de régulation.

Nous avons fonctionné par webinaires, avec des temps de montée en compétences collectifs. Les participants apportaient des connaissances et partageaient leurs retours d’expérience sous l’angle du dialogue social de l’IA. Cela a permis de comprendre de quoi nous parlions, et comment se passaient réellement les choses dans les entreprises et les organisations.

Puis, il y a eu un second temps : une phase de design collectif avec deux ateliers de co-construction pour décider ce que nous allions produire comme livrable. Une vingtaine de participants ont participé à la rédaction des contenus devenus grammaire commune.

Concrètement, en quoi le dialogue social est-il spécifique quand il s’agit d’IA ?

Contrairement à d’autres technologies numériques, il y a une dimension liée à ce qu’est l’intelligence artificielle, que l’on peut aussi appeler « l’informatique avancée » de manière moins anthropomorphique. Ce sont des systèmes qui interagissent avec leur environnement, aident à la prise de décision, avec plus ou moins d’autonomie.

À partir de là, nous savons que cela impacte les tâches de travail mais aussi les interactions entre l’homme et la machine d’une façon inédite. Une partie de l’expertise et des actions humaines est déléguée à un système technique. Ces outils conduisent à des formes de management inédites, opaques et immédiates, comme nous le voyons par exemple pour le picking (ndlr, en logistique, le fait d’aller chercher dans un entrepôt des articles pour préparer une commande), la gestion des agendas, des formations, etc.

On entend beaucoup parler d’IA « générative » pour la production de textes, d’images… mais elle intervient aussi pour la prédiction par exemple. Cela ouvre des questions sur le contrôle et l’autonomie. Jusqu’où déléguer ou non l’expertise à la machine ? Comment cela impacte les travailleurs sur lesquels s’applique ce type d’outil de management ? Jusqu’où va le contrôle de la machine ? Jusqu’où exerce-t-elle une certaine forme de pouvoir ? Tout cela interroge les modalités de prise de mesure de ce qu’il se passe et pour garder le contrôle sur ces systèmes de management.

Le dernier point spécifique à l’IA est que ce ne sont pas des systèmes finis. Quand ils entrent dans une organisation, ils continuent à être entraînés par les données. La prise en compte du cycle de vie du produit est essentielle car on ne maîtrise pas les impacts sur les règles métiers et les biais qu’ils produisent.

Avec les outils du dialogue social que nous avions jusque-là, nous pouvions gérer des objets sociotechniques qui ont des impacts sur les conditions de travail, la santé, la sécurité, l’organisation du travail. Avec l’IA, comme on ne peut pas mesurer à l’avance les effets que cela va avoir, cela demande une phase d’apprentissage de ses impacts sur l’organisation.

Quels outils peut-on trouver dans Dial-IA ?

Les outils de DIAL-IA permettent aux acteurs de l’entreprise de mettre en place un dialogue social itératif, tout au long des projets impliquant l’IA. Ils tirent parti du cadre juridique dans lequel ils s’inscrivent : l’articulation des différentes phases d’information-consultation, les enjeux de RGPD, les leviers qui viendront des règlements sur l’IA, la possibilité d’accords de méthode. Ils sortent d’une approche statique et impliquent de prévoir des points de revoyure, de mettre en place des comités de suivi, d’aller dans des boucles de rétroaction, etc.

Le premier outil participe à une démarche d’acculturation pour permettre à toutes les parties prenantes - direction, représentants du personnel et toute personne intéressée par le dialogue social sur l’IA dans l’organisation -, de comprendre comment fonctionne un projet avec l’IA et ses différentes étapes. Il s’agit de comprendre qui est concerné, en interne et en externe, qui décide de l’architecture, comment impliquer des ergonomes, qui se met autour de la table pour calibrer les règles métiers, qui fait la maintenance, etc.

Nous sommes partis du principe que pour garder le contrôle, même si nous ne deviendrons jamais des experts des systèmes informatiques, il y a une phase nécessaire de compréhension essentielle. Certains choix sont irréversibles, si les enjeux sont compris trop tard, il sera compliqué de revenir en arrière. Ces questions sont particulièrement importantes car il y a des enjeux de dépendance. Les solutions fournies par les prestataires laissent très peu marges de manœuvre, et vont interagir avec les règles métiers, changer les process. Il faut être en capacité de bien rédiger le cahier des charges, de demander d’adapter le SIA selon les règles métiers. C’est accessible aux organisations de toutes tailles, y compris aux TPE-PME.

Nous avons également produit un « kit de survie » où se trouvent des conseils pratiques, très opérationnels, des leviers très concrets à activer avec des objectifs pour mettre en visibilité les SIA. Il y a par exemple des éléments sur la manière d’amener la direction vers un accord de GEPP (Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels), de mettre en place un accord de méthode, etc.

DIAL-IA propose aussi le « registre de l’intelligence artificielle » qui aide à établir une check-list des questions à se poser et à appréhender les systèmes déjà utilisés ou à venir. L’intention est ici de permette d’avoir une visibilité sur la finalité, les fonctionnalités et les impacts d’un SIA. Tous les outils de DIAL-IA, en place depuis janvier 2025, sont « prêt à l’emploi », sous format de Webdoc avec une boîte à ressources pour s’acculturer, des fiches avec les leviers à mobiliser, une fiche-outil avec des propositions d’accompagnement, un glossaire, un schéma interactif sur les SIA donne à voir ce qu’il se passe, les phases d’évolution. Tous ces outils vont continuer à être alimentés et mis à jour.

URL de Remote Video

Le 3 mars 2025, Odile Chagny, a répondu à l'invitation de la chaîne Liaisons-sociales.fr pour présenter le projet Dial-IA.