Parler du travail : au-delà du slogan
Pourquoi faire du dialogue sur le travail le thème de la Semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail ? Explications avec Matthieu Pavageau, directeur scientifique et technique de l’Anact et Thierry Rousseau, rédacteur en chef de La Revue des conditions de travail.
Actualité - Publié le 04 juin 2025 - Modifié le 10 juin 2025

Cette année la Semaine QVCT s’intitule « Parler du travail, c’est productif ! ». Pourquoi avoir retenu ce thème ?
Matthieu Pavageau : Ce sujet, qui est un fil rouge de l’action de l’Anact depuis sa création, revient au-devant des préoccupations depuis quelques années. Que l’on souhaite donner du sens au travail, réguler la charge de travail, faciliter la montée en compétences ou encore accompagner les évolutions de la production, l’un des enjeux repose sur notre capacité collective à progresser par le dialogue sur les questions de travail. Le contexte actuel de transformations multiples (sociales, démographiques, technologiques...) renforce les aspirations à davantage de discussion opérationnelle et stratégique. Nous voulons tous parler concrètement de ce qui bouge « dans notre travail », des façons de faire un travail de qualité et des façons de s’organiser. Il y a une nécessité de traiter de ces questions, au plus proche du travail concret, en articulation avec les instances de dialogue social. Partager ces attentes et les pistes pour y répondre, c’est l’un des objectifs de la Semaine pour la QVCT 2025.
Thierry Rousseau : Faciliter le dialogue sur les questions de travail, ce n’est pas seulement un slogan dans l’air du temps ou un mot d’ordre pour se faire plaisir. Si nous mettons l’accent sur ce sujet, c’est parce qu’il s’agit d’un levier effectif pour régler des problèmes dans l’entreprise et réfléchir au fonctionnement collectif. Quand des espaces de dialogue internes permettent d’aborder des situations de terrain, de traiter autant de qualité de la production ou de qualité de service que de conditions de travail, quand ces espaces débouchent sur de l’écoute et de l’action, cela permet de produire des alternatives. Avec cette Semaine, nous ne soutenons pas le dialogue sur le travail de façon incantatoire, mais parce que ces formes de dialogue « performent » et apportent des améliorations tangibles.
« Quand des espaces de dialogue internes permettent d’aborder des situations de terrain, de traiter autant de qualité de la production ou de qualité de service que de conditions de travail, quand ces espaces débouchent sur de l’écoute et de l’action, cela permet de produire des alternatives. »

À quels défis répond le dialogue sur le travail ?
Matthieu Pavageau : Le défi stratégique consiste en premier lieu à concilier santé, efficacité au travail et anticipation de l’avenir. L’expérience de travail, ou l’expérience des travailleurs, est un point d’appui incontournable pour construire les conditions qui permettent à chacune et chacun de bien vivre son travail. Il s’agit également d’un levier incontournable pour mieux piloter, manager et créer de la valeur dans l’entreprise. C’est encore plus vrai dans les économies de services actuelles qui mettent l’accent sur la relation clients. Les nouvelles approches de la performance qui en découlent prônent un investissement plus fort dans les compétences, les coopérations et la délibération. Ce sont également des conditions pour mieux répondre aux enjeux d’attractivité, de fidélisation et de transition démographique qui doivent nos conduire à penser conjointement la qualité de l’emploi et du travail. Nous savons que nous avons à progresser en France sur ces registres qui recoupent la nécessaire évolution des pratiques managériales. La prise de conscience est un premier enjeu.
Thierry Rousseau : L’autre défi porte sur la mise en œuvre. Soutenir le dialogue professionnel dans l’entreprise, cela ne va pas de soi. Il ne s’agit pas d’ouvrir des discussions, sans méthode, pour se parler de généralités. Pour que ces échanges aident vraiment à résoudre des problèmes, il faut partir de questions concrètes. Cela nécessite de la confiance, une organisation et une reconnaissance de l’intérêt de ce dialogue. Soutenir ces échanges peut, par ailleurs, bousculer des choses et remettre en cause des formes de management encore très verticales. Du côté des travailleurs aussi, discuter de façon ouverte de ce que l’on fait n’est pas évident. Il y a des risques possibles à parler de son travail devant les collaborateurs ou le manageur, et parfois aussi des domaines de compétences qu’on ne veut pas partager, des zones d’autonomie qu’on souhaite conserver. S’il n’est pas « organisé et instrumenté », le dialogue sur le travail n’apporte pas les bénéfices escomptés. Mais, mené dans de bonnes conditions, il fait remonter des points de vue et informations qui enrichissent la prise de décision.
« Les nouvelles approches de la performance prônent un investissement dans les compétences, les coopérations et la délibération. Elles nécessitent d’investir dans le dialogue sur le travail. »

Espaces de discussions sur le travail, ¼ d’heure sécurité... Quels formats de dialogue faut-il privilégier ?
Matthieu Pavageau : À l’Anact, nous accompagnons différentes modalités. Nous expérimentons, par exemple, avec des entreprises des espaces de discussion sur le travail (EDT) parfois animés par les manageurs, parfois sans. Ce sont des temps d’échange ponctuels ou pérennes. Ils peuvent prendre place à l’occasion d’un changement ou quand il y a volonté collective de traiter une difficulté. Le dispositif doit être productif pour tous et notamment en matière de décisions ! Nous intervenons également auprès de groupes de travail réunissant salariés et élus du CSE en amont d’une négociation, ou après. Ces actions de soutien au dialogue peuvent être proposées à une entreprise ou à un groupe d’entreprises sur un territoire, dans une filière ou une branche, par exemple.
Thierry Rousseau : Il faut souligner que les dispositifs de dialogue professionnel sont aujourd’hui encore mobilisés plutôt en cas de problèmes que dans le cadre du fonctionnement régulier des organisations. Nous avons deux points de vigilance.
D’abord, ces espaces doivent permettre d’aborder conjointement les sujets de production et de conditions de travail. Ouvrir une discussion « étroite » avec les salariés pour savoir comment gagner quelques secondes dans un processus de production - sans que l’intelligence collective et la réflexivité soient sollicitées sur la qualité du travail - ne permet pas de produire d’amélioration durable.
Et deuxième point, comme cela a été dit, ces espaces doivent être résolument orientés vers de la prise de décision au sein des équipes, au niveau du management intermédiaire ou de la direction, en lien avec les travaux menés dans le cadre du dialogue social. À défaut, ils créent déception et désengagement.