5 choses à savoir sur les organisations de travail « hybrides »
Après près de deux ans de crise liée au Covid, les organisations du travail qui mixent télétravail et présentiel semblent s’installer dans la durée. Que faut-il retenir à leur sujet ? Repères sur 5 idées clés avec Amandine Brugière, responsable du département Capitalisation et développement des connaissances.
Actualité - Publié le 13 janvier 2022 - Modifié le 12 juin 2024
1. Ce n’est pas un phénomène nouveau...
Après deux années de confinements et de télétravail contraint, suivies de phases de retour sur site partiel ou total pour une partie des travailleurs, le terme « d’organisation hybride » s’installe dans les discours RH et les médias pour désigner une organisation du travail qui se construit autour de plusieurs lieux : les différents locaux ou sites de l’entreprise, le domicile ou encore des sites tiers (coworking, tiers-lieux). Le phénomène n’est cependant pas nouveau : le travail en alternance à domicile, en mobilité, et sur site se développait déjà, avant la crise, en lien avec la digitalisation du travail, le développement de la mobilité et la multiplication d’entreprises multi-sites.
A partir de 2021, c’est cependant un nombre beaucoup plus conséquent d’entreprises et de travailleurs qui ont basculé en mode de travail « hybride », et l’on assiste à un passage de l'adaptation individuelle du travail à distance (pour certains salariés, certains métiers) à une organisation pleinement collective « mixte ».
2. Le mode "hybride" s’applique de façon disparate
Ces nouvelles organisations qui se dessinent ne concernent cependant pas toutes les entreprises, comme le souligne l'Apec dans sa récente étude « Télétravail des cadres : entreprises et managers à la recherche de nouveaux équilibres ».
En septembre 2021, moins de 4 entreprises sur 10 permettaient à leurs salarié.e.s de télétravailler (38 %), dont 25 % de façon régulière avec des pratiques dépendant de la taille de l’entreprise comme du secteur d’activité. Si celles-ci sont dorénavant majoritairement encadrées dans les grandes entreprises (chartes, accords ...), elles le sont encore peu dans les petites. Le secteur d’activité reste, par ailleurs, déterminant dans les choix de ce mode d’organisation. La perception du télétravail, plutôt positive globalement à 65%, demeure ambivalente dans les secteurs où la majorité des activités ne sont pas « télétravaillables ». Le bilan est ainsi mitigé dans l’industrie (31%), le commerce (21%) et la construction (20%).
3. En mode hybride, les lieux de travail ne sont plus les mêmes, les temps non plus
Coordinations plus difficiles à organiser sur différents sites, difficultés à suivre l’activité non visible, diminution des échanges informels... Avec les organisations hybrides, ce ne sont pas seulement les effets de la « déspatialisation du travail » qu’il faut prendre en compte mais aussi ceux du travail « asynchrone ». A domicile, certains salariés peuvent (ou doivent) travailler plus tôt (ou plus tard) que les équipes sur site, les heures de pauses et de joignabilité ne sont plus les mêmes, la possibilité de se retrouver demande à être anticipée. Or, traditionnellement, les lieux et temps communs, participent - avec les activités de travail réalisées en commun - à la création de travail collectif... et de collectifs de travail. « L’essence même du travail en présentiel est cette communauté du temps vécu, au fondement d’une communauté d’œuvre (...). » souligne le philosophe Pascal Chabot.
4. Le travail de coordination est doublement accru
Ces formats de travail « à plusieurs vitesses » nécessitent des temps de coordination accrus, comme en ont pris conscience de nombreuses entreprises ces derniers mois. Des temps qui relèvent d’une double coordination : celle de l’organisation du travail des salariés à distance et de la « synchronisation » nécessaire avec le travail sur site.
« C'est tout un système d'interactions, de temps de présence et de temps de distance qu'il faut resynchroniser. A quelle fréquence qui se voit et pourquoi », résume le sociologue Jean-Yves Boulin.
Ces temps de coordination accrus, pour les manageurs comme pour les équipes, ce sont des temps nécessaires pour, tout à la fois, initier et soutenir les coopérations hors et dans les murs, maintenir les liens, redonner du sens au travail, soutenir les apprentissages communs, développer l’autonomie, maintenir la capacité de création collective, ou encore s’assurer que le travail de chacun est bien visible et reconnu.
5. Les dynamiques collectives doivent être renforcées
La récente étude « Le bureau fragmenté. Où allons-nous travailler demain ? » de la Fondation Jean Jaurès souligne trois risques qui s’appliquent aux organisations mixtes : une dilution du sens collectif, une bilatéralisation de la relation managériale (le manager ne s’adressant plus à une équipe mais, par facilité, à chaque collaborateur individuellement) et le passage d’une culture d’organisation à une logique de service pour des salariés qui risqueraient de se transformer en sorte de freelances internes.
Contrecarrer ces risques implique que manageurs et salariés puissent s’investir plus fortement encore dans l'animation des dynamiques collectives. Au-delà de la coordination et de la synchronisation, ce qui est en jeu c’est la possibilité de développer des pratiques et compétences partagées sur ces champs, de se forger une culture commune, et de faire du travail un vecteur d’intégration, d’émancipation, et bien sûr, de performance.