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Sanitaire et médico-social : quels impacts du numérique sur les conditions de travail ?

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Télémédecine, dossier médical dématérialisé, télégestion… Envisagé comme un levier de modernisation, le virage numérique en santé transforme les modes de travail des secteurs sanitaires et médico-sociaux. Avec quel impact dans la pratique des professionnels ? Retour sur la première phase d’un projet mené avec la Direction générale de l’offre de soins par Lise Delcourt (Aract Bretagne), Manon Keusch-Bessard et Vincent Mandinaud (Anact). 

Pourquoi s’intéresser à l’impact du numérique dans le sanitaire et le médico-social ? 

Le numérique occupe une place centrale dans l’ambition du ministère de la Santé de moderniser le système de santé en s’appuyant sur deux objectifs : gagner en efficience et améliorer le parcours de soin des patients. Dans ce contexte la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a confié à l’Anact un projet pour travailler sur les impacts en matière de qualité de vie et des conditions de travail. 

Qu’en ressort-il : comment les établissements prennent-ils le virage numérique ?  

La première phase d’analyse que nous avons menée en 2022-2023 dans 56 établissements sanitaires et médico-sociaux confirme nos travaux réalisés dans d’autres secteurs depuis plusieurs années : le numérique ne s’implante pas aussi facilement qu’on l’imagine. La technologie ne permet pas, à elle seule, d’atteindre les objectifs de performance et d’amélioration des conditions de travail visés.  

La présence d’un outil numérique au sein d’une structure n’implique pas toujours son usage effectif, dans la totalité de ses fonctionnalités et par tous. Quand la technologie contrarie, gêne ou empêche le travailleur plus qu’elle ne lui sert, on constate des pratiques d’évitement, de contournement du numérique, ou d’hybridation de ses usages par les professionnels. Le secteur sanitaire et médico-social n’échappe pas à la règle. 

Le déploiement du numérique en santé vise notamment un meilleur partage de l’information, qu’en est-il ? 

On observe que bons nombres de nouveaux outils numériques, comme le dossier patient informatisé (DPI) ou le dossier usager informatisé (DUI), ne remplissent pas totalement ces objectifs de faciliter l’accès et le partage d’information entre professionnels eux-mêmes ainsi qu’avec les patients. 

La coordination est une chose complexe, et particulièrement dans ces secteurs : elle concerne une multitude d’acteurs aux pratiques singulières, et une diversité de structures, organisées différemment les unes des autres. 

Le gain de temps des outils numériques est, bien souvent, peu effectif car, du fait de cette diversité de pratiques et d’organisations, la saisie des informations est doublée voire triplée pour assurer qu’elles arrivent à bonne destination. Et lorsqu’on saisit plusieurs fois les mêmes informations, on finit par s’interroger sur le sens que cela peut avoir : est-ce qu’on le fait pour garder une trace des soins « au cas où » ou bien est-ce pour se coordonner avec les autres professionnels ? Et auquel cas, à qui est destinée cette information ? Dans quel but ? Sous quelle forme ? Ces questions peuvent-rester en suspens.

Par ailleurs, avec le numérique, la frontière entre tâches administratives et le travail de soin devient floue : parfois la saisie est perçue par les professionnels comme un prolongement du soin, et parfois comme un frein ne permettant pas de se consacrer pleinement à son cœur de métier. Plus que la question de gain ou de perte de temps, c’est finalement l’utilité et le sens de l’activité numérique qui sont questionnés. 

Quels premiers enseignements en tirer ? 

Ce travail d’analyse confirme que la réussite du déploiement d’outils numériques ne peut reposer seulement sur les professionnels. Apprendre à travailler avec le numérique doit relever d’un effort collectif qui implique l’ensemble des maillons de la chaine socio-technique. Il faut alors s’interroger sur le travail préparatoire à réaliser en amont de toute transformation : comment est-ce que ces transformations sont discutées avec les professionnels ? Prises en charge par les organisations en place ? Et négociées dans le cadre du dialogue social ? 

Quid de la capacité des encadrants à manager les transformations ? Des concepteurs et porteurs de projets numériques à anticiper les effets sur les conditions de travail ? Et des acteurs du dialogue social à négocier les compromis dans un objectif d’amélioration de la prise en soin et des conditions de travail ? Et quel est le rôle du patient et de sa contribution dans ce parcours de soin numérisé ?

La formation n’est-elle pas un levier central pour faciliter l’appropriation des transformations numériques dans les secteurs ? 

C’est parfois le seul moment de mobilisation des professionnels dans le projet. Mais cela ne suffit pas à favoriser l’appropriation des outils numériques. Il faut s’interroger pour voir comment la formation aux outils peut venir davantage en appui aux professionnels et s’inscrire dans leurs pratiques. Et au-delà, il s’agit de voir comment les professionnels peuvent construire ensemble les transformations du travail associées à l’introduction du numérique. La participation des équipes au projet et l’échange de pratiques sont d’autres leviers incontournables. Tester de nouvelles façons d’accompagner les changements numériques, c’est l’ambition de la phase d’expérimentation en cours.

TRAVAIL ET NUMERIQUE EN SANTE, UN PROJET D’EXPLORATION POUR AMELIORER LA QUALITE DE VIE ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL 

L’Anact accompagne depuis plusieurs années les structures sanitaires et médico-sociales pour déployer des démarches d’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail. En partenariat avec la Direction générale de l’offre de soins et les Agences régionales de santé, ces travaux se poursuivent dans le cadre du déploiement du numérique à travers un projet en plusieurs étapes : 

  • 2022 : phase d’exploration pour comprendre et identifier les besoins liés aux transformations numériques des établissements en intégrant les enjeux de qualité de vie et des conditions de travail (56 structures explorées dans 9 régions).
  • 2023-2024 : phase d’expérimentation dans 6 régions pour tester et évaluer des nouvelles façons de mener les projets numériques en réponse aux problématiques soulevées lors de l’exploration. 
  • 2025 : phase de diffusion pour sensibiliser plus largement aux enseignements du projet.

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